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L'art comme projet de vie et inversement

Hassan Darsi - Chronobiographie 1961-2011

Hassan Darsi est né en 1961 à Casablanca, dans le quartier de Sidi Bernoussi, Bloc 34 N°17, dernier enfant d’une fratrie de cinq frères et sœurs. Il a 17 ans quand sa mère décède. Il part alors rejoindre sa sœur aînée installée à Rabat où il passe en 1981 son baccalauréat Lettres au Lycée Moulay Youssef. Dans la capitale, au cœur de la ville après une enfance de banlieue durant laquelle la sortie au centre de Casablanca relevait tant de l’aventure que de l’événement, il fréquente assidûment les cinémas Mauritania, Colisée, Renaissance, découvre un autre milieu, des différences…

Ses études secondaires achevées, son premier désir va vers des études de philosophie et de psychologie, mais la répression qui suit les révoltes secouant le Maroc en 1981 engendrent la fermeture de la faculté des Lettres où il voulait s’inscrire. Il fait alors une demande de bourse pour suivre des études de psychologie en Belgique, où réside son frère ainé, et l’obtient. Encore une fois, ses plans d’orientation sont contrariés : les inscriptions sont déjà closes dans les universités belges… Qu’importe ! Il décide de partir malgré tout et pour obtenir son visa il fait valoir une admission à l’école des Beaux-Arts de Tournai.  Nouvelle déconvenue… Arrivé trop tardivement pour confirmer son inscription sur place, il doit encore composer avec le temps qui passe et s’inscrit alors par défaut à l’école d’architecture de Mons. 

Hassan Darsi abandonne dès lors l’idée de poursuivre des études de psychologie au profit de sa nouvelle orientation, avec laquelle ses aspirations et ses intérêts personnels entrent rapidement en adéquation.  Cette  expérience de l’architecture marquera par la suite indéniablement son travail d’artiste, que ce soit dans une exploitation liée aux interrogations qu’elle soulève sur la forme, la mise en espace, les questions d’échelle et d’espace public, ou plus directement avec par exemple la série récente des « Chantiers en or »[1]. Pourtant, malgré l’attrait qu’exerce sur lui la discipline, déconcerté par une formation trop académique, il échoue au terme de la seconde année. Sur les conseils du directeur de l’école, qui pressent pour lui une autre destinée que celle de l’architecture, il décide alors de s’inscrire à l’École supérieure des arts plastiques et visuels de Mons où il espère trouver plus d’ouverture à ses désirs créatifs. 

Il semble ici avoir trouvé enfin sa voie, celle que les vicissitudes du hasard semblait vouloir lui réserver, même si dérouté par les normes conventionnelles des ateliers de dessin de nus et de natures mortes, il opère déjà dans ses approches artistiques un jeu de détournement en s’attachant plus au contexte des situations qu’aux sujets à reproduire. L’atelier principal dans lequel il s’est inscrit, « L’image dans le milieu », lui permet de mettre à profit son expérience de l’architecture et d’opérer  des liens entre le lieu, l’image et l’objet à partir de différentes techniques et médiums. Au sein de cet atelier de recherches et d’expérimentations, déjà s’amorcent chez le jeune artiste les prémisses d’une démarche encline à favoriser un processus plus qu’un résultat. Il obtiendra son diplôme supérieur en juin 1988 avec mention « Grande distinction » du jury.

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En 1989, après sept années d’études en Belgique, il choisit de partir au Maroc sans avoir vraiment à l’esprit un quelconque projet, sinon celui de rentrer. Après quelques mois de vacillement, entre ne savoir que faire de son diplôme des Beaux-Arts ici et la tentation de faire demi tour, il trouve un poste au ministère de l’Habitat pour effectuer son service civil. Affecté aux archives, dans un bâtiment du quartier Piétri fermé au public, il dépouille dans la poussière quelques années de toute la presse marocaine archivée et dresse un état des lieux de tout ce qui concerne les bidonvilles dans ses lectures, en vue de réaliser un dossier sur les habitations précaires. Il y trouvera l’occasion de s’interroger sur l’urbanisation galopante de ce Maroc qu’il ne reconnaît plus et se prendra à rêver sur les possibles transformations que l’art pourrait apporter à la ville. Il gardera de cette expérience une certaine prédilection pour les inventaires que l’on retrouvera notamment dans « Le projet de la maquette »[2], « Le lion se meurt »[3] et « Off des élections »[4]. Après 6 mois, la phase d’observation curieuse passée, révolté par des pratiques politiciennes qui contrastent cruellement avec l’objet de son étude, il déserte. 

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Il obtient ensuite un poste de professeur d’arts plastiques au complexe culturel Moulay Rachid et y prend en charge la galerie d’exposition dans laquelle il développera par la suite de nombreux projets. Ce nouveau poste lui permet ses premiers contacts avec le milieu universitaire de Ben M’Sick. L’école des Beaux-Arts de Casablanca est alors en phase de restructuration, sous la houlette du président de l’Université de l’époque, Hassan Smili, épaulé dans ce projet par le peintre Abdelkebir Rabii et le critique d’art Moulim Laaroussi. On le missionne pour la création d’une section préparatoire pour l’entrée à l’école des Beaux-Arts[5], la création d’un département d’art à l’école des Beaux-Arts et par la suite, la direction des travaux des étudiants et l’enseignement de ce département Art[6]. Il y passera 6 années, de 1990 à 1996, mais ses pratiques d’ouverture sur le monde et la grande liberté créative qu’il donne à ses étudiants dérangent assez vite la nouvelle direction de l’école des Beaux-Arts. Sujet à de multiples pressions, il est poussé à la démission. L’expérience laissera à l’artiste un goût d’inachevé.

Alors qu’il est encore en poste, l’idée de pouvoir offrir aux jeunes artistes un espace d’échanges et de création libre et ouvert germait déjà, dans une volonté de chambouler les pratiques artistiques conventionnelles en mêlant les différents médiums et de bousculer le conformisme de rigueur. Des questionnements à l’échelle personnelle : comment exister en tant qu’artiste ? Mais aussi à l’échelle collective : comment constituer un front de résistance pour briser ce carcan et amener un changement dans le contexte artistique de l’époque. Ainsi, dès l’automne 1995, l’artiste ouvre des ateliers artistiques dans le quartier de Aïn Sebâa, au sein des anciens bâtiments de l’école Victor Hugo, mis à disposition pour ce projet expérimental grâce à la complicité de Alain Bourdon, le directeur de l’Institut français de l’époque, rencontré l’année précédente lors d’un travail avec ses étudiants pour l’exposition Georges Perec. La source du lion est née. En juin 1996, le lieu est récupéré pour devenir l’école française des affaires et la source du lion déménage au Complexe culturel Moulay Rachid sous l’œil bienveillant de Mohamed Amine Moumine, son directeur, qui croit au projet et à son devenir, et accepte d’héberger légalement la nouvelle association en même temps que d’en devenir le président d’honneur. 

 

Parallèlement à ses activités d’enseignant et d’instigateur associatif, Hassan Darsi poursuit sa réflexion plastique autour d’un questionnement sur la forme, le médium et la justesse de sa pratique artistique par rapport à un contexte particulier : le sien et celui du pays où il vit. En 1991, il participe au prix de la jeune peinture marocaine, alors organisé annuellement par la Wafabank, dans un cadre tout aussi restrictif que conventionnel puisqu’il s’agit de présenter pour concourir une « œuvre signée, de dimensions 100 x 100 cm et correctement encadrée »[7]. Déjà refusant de se conformer à des contraintes et des normes qui musèlent la création, il y propose une installation qui sera dans un premier temps écartée, pour ne pas respecter le cadre du règlement, puis recevra un prix spécial délivré par le jury international. Dès lors, son acte de résistance inscrira le médium de l’installation comme une possible ouverture dans un champ artistique marocain encore récalcitrant.

En 1995, il est invité par l’Institut français à participer à l’exposition « Fragment d’imaginaire » qui propose une vision de Casablanca à travers 11 artistes. Il choisit d’y présenter une série de photographies anodines[8], prises à la volée et sans réelle préoccupation plastique. Les tirages noirs et blancs en format carte postale, dentelés sur les bords, sont tous sérigraphiés d’une même mention « Souvenir de Casablanca » et simplement installés dans un présentoir de récupération. Des artifices – le noir et blanc, la dentelure – qui transforment ces images délibérément banales en totems d’une modernité surannée, un mode de présentation – le présentoir de cartes postales usité – qui transpose la réalité de la rue dans l’espace d’exposition ; un décalage à l’échelle de la ville et d’une propension au détournement qui s’impose de plus en plus dans le travail de l’artiste. 

L’année suivante, c’est une exposition personnelle[9] que lui propose l’Institut français. L’artiste y présente notamment un travail à partir de cheveux anonymes - récupérés chez un coiffeur - emballés dans du film cellophane et simplement épinglés au mur, constituant d’énigmatiques cartographies. Une évocation de la « carte », que l’on retrouvera dans des travaux récents de l’artiste, « Dent de sagesse »[10] et « Tondo »[11]par exemple ; une action d’emballage qui préfigure les recouvrements d’objets à l’adhésif doré.

En 1997, l’artiste est sollicité par un collectif d’artistes bordelais, le Groupe des cinq pour participer au projet « Pont artistique : plus léger que l’art » pour une double présentation à l’aéroport Mohamed V à Casablanca et à la Galerie MC2a à Bordeaux. Il réalisera pour ce projet une valise en verre[12] renfermant un portrait noir et blanc de lui enfant et divers fragments de vie passée, objets, photographies, souvenirs… Une préfiguration de la série des « Portraits de famille » qui invitera les participants à apporter un objet de famille pour la prise de vue.

Début 1998, Hassan Darsi initie avec la source du lion la première véritable exposition d’art contemporain au Maroc, proposant au public de découvrir dans la galerie du complexe culturel Moulay Rachid des installations associant différents médiums. Les 8 artistes qui y participent sont pour la plupart passés par les ateliers ouverts de l’école Victor Hugo. Hassan Darsi y présente quant à lui le « Cube », une cloche cubique de verre dont l’arête est définie par la taille de l’artiste - 1,64 m - et dans laquelle une mécanique de soufflerie, récupérée du système -inversé pour l’occasion - d’un vieil aspirateur, diffuse la poussière blanche du plâtre répandue au sol. 

En août de la même année, l’artiste et la source du lion sont invités à Asilah. Cette fois, la poussière blanche apparaît sous la forme de blanc d’Espagne (ou Blanc de Meudon). La « Vitrine » propose un dispositif interactif constitué d’un texte écrit à l’envers et lu à l’endroit par réflexion sur une plaque de verre et un drapé noir dont les contours sont soulignés par un cadre doré. Recouverte par une fine couche de blanc d’Espagne, la vitrine devenait au fil de l’exposition le réceptacle des inscriptions des visiteurs en même temps que par l’effacement partiel de la poussière blanche elle dévoilait le texte de l’artiste. Une poussière que l’on retrouvera l’année suivante, lors d’une exposition à la galerie MC2a à Bordeaux, emprisonnée dans des plaques de verre vaguement soulignées d’une baguette de cadre dorée, cette fois ligaturée de sparadrap, qui constituaient d’étranges « tableaux » simplement posés au sol. 

En octobre 1999, il est invité à produire et présenter un travail dans le cadre d’une exposition collective, « Regards nomades »[13], réunissant cinq jeunes artistes marocains par le Fonds Régional d’Art Contemporain de Franche-Comté, alors hébergé au musée des Beaux-Arts de Dole dans l’Est de la France. Il est à cette époque dans une période d’expérimentation et de recherche à partir d’un nouveau matériau, l’adhésif doré, et il en fera le médium de prédilection de cette exposition, inaugurant ainsi la première installation – intitulée « Quelques lieux »[14] - d’une série d’œuvres réunies sous le titre générique « Applications dorure ». Le blanc d’Espagne vient encore ici perturber la surface lisse et réfléchissante de la dorure pour laisser place à une possible intervention du visiteur par effacement. Le cadre doré s’est étendu jusqu’à devenir la surface d’un travail qui s’émancipe de ce qui subsistait de l’idée même du « tableau » et se simplifie dans un minimalisme qui marque le début d’une exploration méthodique du matériau « dorure ». 

C’est également à l’occasion de cette exposition, pour laquelle j’assure la coordination et l’organisation, que je rencontre Hassan Darsi.

En Mai 2000, un mois après notre mariage, il est invité à la biennale de Dakar pour y présenter le « Cube » et « Quelques lieux »[15]. Les difficiles conditions de production de l’exposition et l’état dans lequel il récupérera ses travaux à la fin de l’exposition lui laisseront un goût amer, et il saura en tirer les leçons lors de sa seconde participation à la Biennale Sénégalaise en 2006, pour laquelle il décidera de devenir le propre support de son travail avec « Le costume du lion »[16].

En août 2000, je rejoins Hassan à Casablanca pour y vivre et le seconder dans la gestion, l’organisation et l ‘élaboration des projets de La source du lion et de son propre travail en y apportant un regard critique. Décembre 2000 sera marqué par la naissance de notre fils, Mansour, qui suivra et accompagnera par sa présence les différentes expositions et activités de la source du lion et de son père. Le premier « Portrait de famille » sera le notre, réalisé trois semaines plus tard, dans un studio photographique, aussi kitsch que poussiéreux, de la route d’El Jadida. Il sera dans un premier temps utilisé en juin 2001[17] pour devenir le motif « icône » d’un papier peint où il est sérigraphié en dorure mate sur la surface brillante de l’adhésif doré. L’exposition, centrée autour de l’imagerie publicitaire et de l’affiche, propose en outre des travaux de Rachid L’Moudenne, alors actif dans la source du lion, et une sélection d’affiches réalisées dans le cadre du projet « Numéro, revue murale d’affiches d’artistes », dont l’édition marocaine à laquelle il avait collaboré en 1996 avec l’artiste marseillaise Martine Derain[18]. Il présente en vis à vis de son papier peint doré, des impressions numériques sous la forme de tondo, banales images publicitaires érigées au rang de totem de la consommation par leur déplacement dans l’espace d’exposition.

 

Le 11 septembre 2001, il est chez lui, son fils dans les bras quand il découvre sur son écran de télévision, comme des millions de personnes, les images des Twin towers transpercées par deux avions. Il suit en direct le macabre événement pendant deux jours et au matin du troisième, transporte son poste de télévision dans la pièce qui lui sert à l’époque d’atelier et commence à le recouvrir d’adhésif doré. Sa façon à lui de signaler le rôle clef qu’ont  joué les médias dans la transmission du drame comme l’esclavage médiatique du monde contemporain, en figeant définitivement dans la dorure les images dont on l’a abreuvé. L’œuvre « New Babel », née d’une violence en même temps que d’une évidence, sera le premier objet recouvert de dorure. 

Il travaille à cette époque sur un projet d’exposition pour l’Artothèque de Schiedam, dans la banlieue de Rotterdam. La demande induit de façon insidieuse que la venue d’artistes marocains peut apaiser les tensions entre populations immigrées et autochtones. Un jeu que l’artiste se refuse à jouer de façon simplement frontale mais qui devient pour lui l’occasion d’un détournement. C’est en s’interrogeant sur la façon dont il va pouvoir contourner cette prérogative tout en intégrant la donnée de la diversité des origines et des cultures dans la ville, que Hassan Darsi va faire naître la première série des « Portraits de famille ». Les dix neuf portraits exposés en novembre 2001 dans l’ancien orphelinat de la ville, présenteront ainsi une pluralité de visages tous unis dans une même grille de lecture, donnée par le décor ambulant qui voyagera jusqu’en 2009 dans huit sites différents de par le monde. Parallèlement, dans l’espace contemporain entouré de vitrines de l’artothèque, l’exposition collective de la source du lion, « Sans motif apparent »[19], présente pour la première fois « New Babel », dont la fonction première de télévision n’aura malheureusement pas résisté au transport et qui restera définitivement muette sous son habit de dorure. 

 

Le début de l’année 2002 sera marqué par la rencontre avec le parc de l’Hermitage en total état de désolation. Par l’intermédiaire de son ami réalisateur Eymeric Bernard[20], Hassan Darsi est invité par l’AMBDS[21] - qui mène à l’époque des actions de sensibilisation dans le parc - à réfléchir à un projet artistique pour attirer l’attention sur cet espace vert abandonné. Hassan Darsi, propose la réalisation d’une maquette au 1/100èmedu parc dans son état actuel. L’idée d’une maquette séduit, mais c’est plutôt une projection de ce que pourrait être le parc une fois réhabilité qui est préférée. L’artiste s’obstine et défend l’idée force de montrer ce qu’il appelle un « Etat des lieux ». Finalement accepté, le projet se heurte à un second mur d’incompréhension quand Hassan Darsi entend bien « déplacer le problème » et réaliser cette maquette en dehors du parc dans un espace dédié à l’art ayant pignon sur rue. La rupture est consommée, mais l’artiste décide malgré tout de mener seul son projet avec la source du lion et lance un « Appel à contribution ». Après un premier refus de l’école des Beaux-Arts de Casablanca, il sollicite la Villa des arts[22] et sa directrice de l’époque, Sylvia Belhassan, pour accompagner le projet et en héberger le chantier. En juillet 2002, la plate-forme qui doit recevoir la maquette, l’inventaire de tout ce qui compose le parc, les photographies de Christian Lignon et la « Déclaration », sérigraphiée sur une impression numérique du bassin, sont présentées à la Villa des arts pour le lancement officiel d’un chantier ouvert. La question du parc de l’Hermitage est déplacée pour la première fois au centre ville de Casablanca. De septembre 2002 à avril 2003, le chantier accueille des dizaines de volontaires qui se succèdent autour de la petite équipe encadrée par l’artiste. 

 

Au printemps 2002, l’artiste réalise dans un studio photographique du Mâarif le second volet de la série « Portraits de famille ». Les « Visages casablancais » seront présentés en juillet dans la galerie de l’Institut français de Casablanca, accompagnés des objets apportés par les seize familles lors des prises de vues, présentés dans des vitrines désuètes à la façon d’un cabinet de curiosité.

Invité pour un workshop[23] à Cape Town en Afrique du sud, il déserte le Maroc pour deux mois au début de l’année 2003. Dans la ferme expérimentale Goddendaght, qui héberge les artistes participants, il réalise la troisième série des « Portraits de famille » avec la complicité des employés de la ferme. Le projet s’affirme et évolue, le décor se détache maintenant sur le mur blanc, comme un tableau en lévitation. Durant son séjour, il produit également pour la Galerie Nationale de Cape Town la pièce « Golden chair », une banale chaise de jardin en plastique trouvée dans l’espace, qu’il recouvre minutieusement d’adhésif doré, tout en conservant les chutes dans l’idée d’une possible réexploitation. Cette réexploitation, il en fera quatre années plus tard l’objet de son travail, lors d’une exposition en binôme avec Mohamed El Baz à la galerie casablancaise Venise cadre, avec la série « Chutes ». 

En avril, l’inauguration de la « Passerelle artistique II – rencontre internationales de collectifs d’artistes » et de l’œuvre « Le projet de la maquette » sera un électrochoc pour le Wali de l’époque[24] qui s’engage sur le champ à assurer la réhabilitation du site. L’implication de l’artiste et de la source du lion dans le parc sera développée sous la forme de « Passerelles artistiques » jusqu’en 2008 et marquera le début d’une série d’actions et de travaux liés à des questionnements sur la ville et les espaces publics, « Le lion se meurt », « Le passage de la modernité », « Le square d’en bas », « Point zéro ».

A nouveau sollicité pour un projet d’exposition à l’étranger, il s’envole pour la Belgique sitôt la maquette inaugurée pour y réaliser une quatrième série des « Portraits de famille » dans la ville de Malines. 

En juin 2003, lors d’une simple promenade dominicale sur les traces de son enfance va naître le projet « Le lion se meurt ». L’état de délabrement du zoo de Aïn Sebâa, comme des animaux qu’il héberge, n’est pas sans lui rappeler le parc de l’Hermitage. Un projet entre en gestation, initié par un texte que j’écris au retour de la visite[25] et qui donnera naissance au premier volet du projet avec « Le journal du lion » initié en mars de l’année suivante avec une quinzaine de volontaires.

Le cinquième opus de la série des « Portraits de famille » sera réalisé quelques mois plus tard dans un souk de la région de Doukkala à l’invitation d’Abdallah Karroum. Durant trois semaines, l’artiste se déplacera à Had Oulad Fraj pour y installer aux aurores son studio ambulant. Cette fois encore le projet évolue, au rythme des emplacements disponibles et du voisinage dans le souk. Les seize portraits réalisés sont dans un premier temps présentés dans le souk, puis en 2005 à L’appartement 22 à Rabat et dans l’espace d’exposition de l’Institut français de Meknès, accompagnés du dispositif de présentation dans le souk.

En septembre de la même année, il obtient deux petits locaux dans le parc de l’Hermitage pour y ouvrir des ateliers artistiques libres pour les enfants du quartier. Il en confira l’animation à trois de ses étudiants du complexe culturel Moulay Rachid[26], y interviendra et y invitera différents artistes sur des pratiques spécifiques jusqu’en 2008. De plus en plus intimement liées à son travail personnel, les actions menées avec la source du lion prennent une place prépondérante dans le travail de l’artiste et s’apparentent plus à un projet de vie qu’à un simple militantisme associatif. 

En 2004, la troisième « Passerelle artistique » invite des artistes et des collectifs marocains, français, belges et néerlandais à entamer une réflexion autour du parc de l’Hermitage. Le projet du nouveau lion de l’Hermitage proposé par Hassan Darsi sera initié à cette occasion et sa réalisation par Mohamed Fariji s’étalera jusqu’à l’inauguration le 9 juillet 2004.

La fin de l’année 2004 est marquée par la première performance de l’artiste « 100% invendu », réalisée à la Villa des arts de Casablanca dans le cadre d’une exposition collective, « Constellations ». Les conditions de l’exposition et de son organisation ne lui permettant pas de réaliser le projet initialement prévu, l’artiste décide de le réduire à sa plus simple existence et présente « New Babel » échouée dans la mer de sable dont il a fait remplir la salle qu’il occupe. En réaction contre ce qu’il appelle « l’utilisation des artistes » il décide de fermer l’accès de sa salle par un plexiglas et le 14 décembre, jour de l’inauguration, s’y enferme en huis clos avec deux complices et le chat Victor. Une heure plus tard, il sort et explique publiquement les raisons de son action. Une performance qui marque l’attitude d’exigence et la non-compromission qui habite tout le processus le travail de Hassan Darsi en même temps qu’elle rend hommage à un ami cher, disparu cinq jours plus tôt.

Il reviendra à la performance l’année suivante, avec la première présentation publique du projet « Le lion se meurt », qui depuis 2003 s’est enrichi de « La collection du lion » qui recueille quelques 200 objets, produits de consommation, photographies, images, symboles, dessins, à l’effigie du lion, grâce à la complicité d’une centaine de donateurs. En avril 2005, sur l’esplanade de l’Institut Français de Casablanca, le long du boulevard Zerktouni, l’exposition-action met en scène les différents éléments réunis au cours de ces deux années dans une camionnette repeinte aux couleurs des transports scolaires et aménagée en lieu de présentation. L’ouverture est pour Hassan Darsi l’occasion de reprendre les pinceaux et le chemin de la toile, abandonnés depuis longtemps, mais qui lui semblent être à ce moment précis les médiums les plus appropriés pour marquer le décalage propre à son action, interroger le regard sur des réalités contemporaines et tenter par là d’opérer des transformations. Lors de l’ouverture du projet[27], une dizaine de volontaires se succèdent pour lire des extraits du « Journal du lion » pendant que Hassan Darsi esquisse les premiers traits d’une « Peinture du lion » monumentale qu’il achèvera sur place jour après jour pendant deux semaines, jusqu’à la clôture[28]. Quelques jours plus tard, le dispositif est déplacé dans le parc de l’Hermitage pour la « Passerelle artistique IV »[29] opérant ainsi un glissement entre deux lieux sensibles de la ville, l’un en voie de renaissance et l’autre en déliquescence. Ces actions réveilleront les instances publiques sur la situation du zoo de Aïn Sebâa mais le nettoyage sommaire du site n’apportera pas de vraies solutions à l’incarcération des animaux. La « Peinture du lion » finira roulée sur notre terrasse, faute d’espace de stockage, et sera détruite quelques années plus tard, le temps aidant. Le projet sera réactivé l’année suivante lors de la seconde participation de l’artiste à la Biennale d’art contemporain de Dakar, avec un nouvel élément venant s’ajouter aux précédents, « Le costume du lion ». Cette fois Hassan Darsi ne s’encombre pas de problème de transport, de douane et de conditions de présentation de son travail. Il se fait le propre support de son œuvre et parcours les espaces de la biennale durant trois jours avec un costume taillé sur mesure sur lequel il a fait imprimer une sélection des objets constituant la collection du lion. Il rééditera l’expérience lors d’une participation à l’émission télévisée « Des arts et des lettres »[30] et pour le vernissage de l'exposition « Making sense in the city » à Gand[31].

La même année, invité à Beyrouth pour un workshop de trois semaines, Hassan Darsi produira la « Poupée dorée », un nouvel élément ajouté aux « Applications dorure ». Dans un des espaces en ruine d’un village Druze surplombant Beyrouth – Aley - il passera quinze jours à parer une poupée récupérée dans une poubelle de petits losanges d’adhésif doré, ne laissant plus apparaître que ses yeux figés. Il reviendra à Casablanca avec l’étrange et inquiétant objet, soigneusement emballé entre les vêtements de sa valise, dans l’attente une fois encore d’une possible réexploitation… 

En juillet 2005, la fondation Mohamed VI pour l’environnement annonce la prise en charge du plan de réhabilitation du parc de l’Hermitage. La source du lion est invitée à travailler en concertation avec l’entreprise paysagère chargée du projet, et les propositions des artistes qu’elle a invités aux différents workshops organisés depuis 2003, sont intégrées dans le futur plan de réaménagement. Les différentes « Passerelles artistiques » et le lancement du projet « Jardins du monde », relayés par la sortie du livre « Echo Larmitaj »[32], ont largement participés à diffuser l’action de l’artiste et de la source du lion autour du parc de l’Hermitage au niveau international. L’artiste est ainsi sollicité par la fondation Pistoletto pour parler de cette expérience pilote, en 2005 à Tunis, en marge du forum international de l’information[33], puis en 2006 à Bologne[34].  

Parallèlement aux séries et projets qu’il entraine avec lui dans le temps comme autant de fils d’Ariane dans le processus de son travail, Hassan Darsi entame d’autres chemins de réflexion vers de nouvelles productions. Ainsi, le projet « Half Moon », en gestation depuis quelques années, voit le jour par une série de photographies[35] du site, comme en suspension dans un « no man’s land ». Cela fait déjà quelques dix années que les prémisses d’une potentielle résidence balnéaire sont en attente sur la route d’Azemmour, chaque fois qu’il passe devant cet espace, à la fois abandonné et en devenir, l’artiste s’y arrête pour s’imprégner de la poétique absurde qui s’en dégage. C’est ce qu’il donnera à voir dans les images déréalisées qu’il produira comme autant de maquettes d’architectures improbables et pourtant bien réelles. Il reviendra par la suite en 2009 sur le lieu avec une vidéo, « L’homme qui court »[36], dans laquelle il se met lui-même en scène dans l’énigmatique architecture du lieu.

Au printemps 2006, la cinquième « Passerelle artistique » autour du parc de l’Hermitage, opère cette fois des débordements dans la ville sous la forme d’actions et de performances. Le plan de réaménagement du site est présenté publiquement par l’entreprise paysagère en charge du projet et par le maire de Casablanca. Les projets de Hassan Darsi et des artistes complices de la source du lion y sont intégrés. Le travail effectué et les années de résistance semblent avoir porté leurs fruits. Hassan Darsi y présente une série de portraits en plans serrés des « pratiquants » du parc[37] qu’il affiche le long de la voie ferrée qui le traverse, pour signaler leur présence et donner à voir le « visage humain » de l’Hermitage.  Deux mois plus tard, c’est dans un autre parc à Bordeaux que Hassan Darsi transpose son décor de rideaux et de fleurs artificielles pour réaliser la sixième série des « Portraits de famille » qui donnera lieu à une exposition à la Galerie MC2a. Les prises de vues prennent de plus en plus de recul par rapport à l’objet photographié, et le dispositif prend alors des allures de motif se détachant sur fond de verdure.

A l’automne, Okwi Enwesor invite l’artiste à présenter « La maquette » pour l’exposition « Phantom scenes in global society »[38], dont il est le commissaire pour la seconde Biennale internationale d’art contemporain de Séville. L’œuvre partira ensuite à Anvers fin 2007 pour l’exposition « Zonder Titel » au MUKHA[39], puis à Prague en 2008 pour l’exposition « Rereading the future » de la Triennale d’art contemporain.

En 2007 le projet « Le lion se meurt » est déplacé dans son ensemble pour l’exposition «Re-aspora» à la Galerie Mama showroom à Rotterdam. « Le costume du lion » quitte cette fois le corps de l’artiste pour être présenté sur un mannequin parmi les objets de « La collection du lion ».

Cette année est également le début du projet « Off des élections ». La première présentation de cette proposition artistique, née des élections marocaines de septembre 2007, intègre l’exposition au Musée d’art contemporain de Anvers[40] avec un site internet qui propose une série d’enregistrements extraits de conversations glanées et archivées au hasard de rencontres et d’échanges, classés dans une soixantaine de répertoires tout aussi pragmatiques, qu’absurdes ou poétiques. Le projet évoluera jusqu’en 2009 dans une déclinaison de formes : en 2008, le « Nuancier politique »[41], juxtaposant aux énumérations des différents répertoires, les icônes, permettant aux électeurs analphabètes d’identifier les différents partis politiques en lice pour les élections ; puis l’année suivante, avec « Festival »[42] proposant un dispositif d’écoute des enregistrements à l’intérieur d’un Honda[43] revisité par l’artiste.  

 

Voilà déjà quelques années aussi que l’idée d’un espace identifié pour La source du lion occupe l’esprit de l’artiste. Malgré un déménagement en 2004, notre lieu de vie reste trop étroit pour accueillir atelier, bureau et travaux réalisés. La « Passerelle artistique VI », en même temps qu’elle prolonge la liaison entre la ville et le parc de l’Hermitage, initie par une exposition[44] le projet d’un futur lieu pour l’association, grâce à la complicité des 27 artistes ayant offert à La source du lion une œuvre. L’objectif est d’ouvrir à Casablanca une plateforme de recherches, d’expérimentation, de production et d’échanges artistiques pouvant proposer des espaces de travail, de résidence et de présentation. C’est lors de cette sixième édition que l’artiste entreprendra de blanchir le bassin de l’Hermitage à la chaux[45], le transformant ainsi symboliquement en une toile vierge en attente de possibles interventions.

C’est encore un parc qui accueille à l’automne 2007 la septième série des « Portraits de famille », réalisée dans l’état de l’Iowa aux Etats-Unis[46]. Le parti pris de l’extérieur pour planter le décor semble définitivement intégré dans le projet, comme en témoignera la huitième et dernière série (à ce jour) réalisée en 2009 à Pirineos Sur en Espagne. La première présentation rétrospective du projet aura lieu au MUHKA à Anvers[47], s’en suivront plusieurs autres : en 2009 à l’Atelier de la source du lion à Casablanca, dans la galerie Bab El Rouah à Rabat[48]  et lors du XVIII festival international des cultures à Pirineos Sur ; puis en 2010 à la Villa Matisse à Marrakech.

Cela fait plus d’une année que le plan de réhabilitation du parc de l’Hermitage, réalisé en concertation avec la source du lion, a été présenté publiquement. Lorsque l’entreprise paysagère en charge du projet nous invite à une réunion, nous pensons qu’enfin les premiers travaux vont être initiés. La déconvenue est de taille lorsque nous découvrons un nouveau plan qui fait table rase de toutes les propositions intégrées des artistes comme de l’existant et de « l’âme » du parc. La communication est coupée, le travail de six années de proximité avec les habitants du quartier n’aura finalement pas porté ses fruits et La source du lion décide alors de se retirer du projet. Hassan Darsi expliquera les raisons de cette décision début 2008 lors d’une des conférences du Salon du livre de Tanger en compagnie du paysagiste Gilles Clément.

 

La fin de l’année 2007 est marquée par la réalisation de son premier travail monumental à partir du matériau adhésif doré. L’exposition[49] réunit Hassan Darsi et Mohamed El Baz dans la galerie casablancaise Venise Cadre, qui présente pour la première fois de l’art contemporain. L’enjeu est important pour l’artiste, c’est la première présentation de son travail dans une galerie marchande et il ne peut le concevoir dans cette simple préoccupation. Il veut marquer ce nouveau pas franchit par une action symbolique et propose alors de recouvrir entièrement la façade de la galerie d’adhésif doré[50], en faisant la condition de sa participation à l’exposition. Grâce à la complicité de Aziz Daki, le directeur de la galerie accepte, sans réelle conviction dans un premier temps mais séduit par la suite par le résultat. La façade est dorée, et le restera finalement durant les six mois suivant la fin de l’exposition, transformant la galerie en un temple d’or et en un nouveau repère visible pour les casablancais et les chauffeurs de taxi. Hassan Darsi y présente également un travail réalisé à partir des chutes d’adhésif doré[51] des différents objets recouverts depuis 2003, collés sur papier. Chaque série constitue des ensembles de tableaux énigmatiques et abstraits, aux formes géométriques variables et apparemment aléatoires, comme autant d’empreintes-mémoire de formes absentes. Parallèlement, il décide de réactiver « La poupée » dorée à Beyrouth en l’intégrant dans l’installation « Etats du monde »[52], à côté d’une chaise d’enfant en plastique et d’un petit téléviseur recouverts d’adhésif doré et supportés par des socles en bois de formes différentes. La poupée sera une fois encore sujette à réexploitation l’année suivante pour un projet d’intervention à Marrakech, « Chorégraphie urbaine », qui reste à l’état de proposition jusqu’à ce jour, en attente d’autorisations.

 

Lorsqu’on lui propose début 2008 de réfléchir à un projet d’art urbain pour le festival de Casablanca, il envisage aussitôt de réinvestir le « Globe Zevaco », surplombant de sa majesté usitée un ancien passage souterrain jadis animé et fermé depuis longtemps, faute d’entretient. L’adhésif doré sera là encore le matériau de la « mise en œuvre », le « couronnement » d’une action, bien sur éphémère, mais porteuse d’une possible réhabilitation du lieu. « Le passage de la modernité »[53] – une référence à la situation du site, entre l’ancienne médina et la ville moderne, en même temps qu’un clin d’œil aux nombreux architectes étrangers qui ont fait de Casablanca leur terrain d’expérimentation – verra le jour sous la forme d’une maquette, restituant l’architecture de Zevaco et projetant l’intervention à l’adhésif doré de l’artiste. La direction du Festival préférera quand à elle se passer de Hassan Darsi et ne garder du projet que l’idée, réinvestie formellement dans un badigeonnage de peinture cuivrée. De ce pillage d’idée, ne resteront que quelques articles de presse, soigneusement conservés par l’artiste, dans l’attente d’une potentielle « ré-exploitation ». A l’automne 2008, « Le passage de la modernité » sera présenté dans l’exposition « In the désert of modernity », à la Maison des Cultures du Monde de Berlin. Initiés avec le projet « Half Moon », les questionnements et les références à l’architecture prennent dès lors une place de plus prégnante dans le travail de l’artiste, comme une réminiscence de ses deux années d’études à l’école d’architecture de Mons. 

Au printemps, Hassan Darsi est invité à Tennerife pour un workshop et une intervention dans l’espace public. Comme avant chaque projet de ce type, il demande des photographies de la ville, des alentours, pour s’imprégner de l’espace et réfléchir à son projet. Très vite, il jette son dévolu sur la jetée qui protège le port de l’océan et entreprend sa seconde intervention en extérieur avec l’adhésif doré. Sur place, durant trois jours et sous un soleil de plomb, il recouvre les faces des gigantesques cubes de béton de dorure, une caméra sur pied filmant l’intervention. « Or d’Afrique » donnera lieu à la première vidéo de l’artiste et à une série de tirages photographiques, en même temps qu’elle sera la première œuvre d’une série de « Jetées dorées », en cours et en devenir dans d’autres sites[54].

En juin 2008, La source du lion ouvre son atelier de recherche et de production sur l’avenue Mers Sultan. L’événement est marqué par un premier « Accrochage 0 » qui présente une sélection des travaux de la collection de l’association, offerts par les artistes complices du projet l’année précédente, et la sortie du livre « Le lion se meurt »[55], accompagné pour l’occasion d’une présentation rétrospective du projet.

En octobre, Hassan Darsi participe à l’exposition « Traversia », au Centre d’art moderne de Las Palmas en proposant avec « Le grand naufrage », une fusion entre une « réexploitation » de « La poupée » et du moule en bois ayant servi à la réalisation de la maquette du globe Zevaco sur fond de plate-forme dessinée de chemins brulés s’entrecroisant dans un réseau de lignes pour rejoindre la demie sphère du globe - à la fois soleil, lune ou île - et la poupée dorée fixant l’horizon sur son piédestal blanc, un bras levé. L’installation constitue une sorte de suite allégorique d’ « Or d’Afrique », dont la vidéo est d’ailleurs présentée dans le même espace. 

Début 2009, les différents « Portraits de famille » sont exposées à L’atelier de la source du lion[56] à l’occasion de la parution du livre rétrospectif des sept séries réalisées par Hassan Darsi à Schiedam (Pays-Bas), Casablanca (Maroc), Cap Town (Afrique du sud), Malines (Belgique), Souk Had Oulad Frej (Maroc), Bordeaux (France) et Grinnel (Etats-Unis).

Parallèlement le projet « Le square d’en bas » démarre son premier volet en mars avec une série de workshops impliquant un groupe d’étudiants de l’Ecole Nationale d’Architecture de Rabat. « Le square d’en bas » est né de la situation même de L’atelier de la source du lion, et plus précisément, de la vue spécifique qu’il offre sur la ville et sur un espace à l’abandon en plein cœur de Casablanca, l’ancienne usine de mobilier «Legal et frères». Le projet invite les créateurs de différentes disciplines à se « pencher » du haut du 6ème étage de l’atelier pour inscrire le travail de l’artiste comme une force de proposition et un projet de société dans l’espace urbain, interrogeant ainsi sous différentes approches et pratiques l’architecture. Le second volet sera initié l’année suivante et finalisé en 2011, avec la proposition d’Hassan Darsi, qui décide de ré-investir le projet par une proposition pluridisciplinaire associant danse, et vidéo depuis les hauteurs, cette fois, des anciens abattoirs de Casablanca. Grâce à la complicité de la danseuse-chorégraphe Meryem Jazouli, six danseurs[57] se succèderont sur le toit des anciens abattoirs dans une performance improvisée et filmée en huis clos. Le résultat,  intitulé « Le toit du monde », sera une installation de six moniteurs projetant en parallèle les actions des danseurs, opérant ainsi de subtiles connivences entre chaque écran, en même temps qu’avec la ville qui se dévoile en arrière plan.

 

La septième « Passerelle artistique » organisée par la source du lion s’ouvre en mai de la même année associant Hassan Darsi, Amina Benbouchta, Mohamed El Baz et Meryem Jazouli dans un programme proposant une exposition, des projections de films d’artistes, des performances de danse contemporaine et un cycle de trois conférences, sous le titre « Lisières et débordement »[58]. C’est la première fois que Hassan Darsi revient présenter son travail à la Villa des arts de Casablanca depuis la performance « 100% invendu » et il entend bien marquer ce retour sur le « lieu du crime » avec une installation aussi percutante et opérant, justement, dans le débordement ! « Projet en dérive »[59] occupe donc tout l’espace de la salle d’exposition et propose au visiteur de traverser l’étendue d’eau qu’il a recouverte de poussière d’or sur une passerelle métallique allant d’une porte à une autre. Au fond de la salle, « en dérive » dans la « mer d’or », une plate-forme associée à une chambre à air laisse deviner les éléments stylisés d’une architecture imaginaire, en référence à la future marina de Casablanca. Dans le jardin de la villa des arts, il présente également une suite du projet « Off des élections » avec l’œuvre « Festival ». Née d’une complicité de plusieurs années avec le chauffeur de « honda » qui assiste La source du lion dans ses projets - Mohamed Mhaine - l’œuvre deviendra à l’issue de l’exposition un travail mobile dans les rues de Casablanca en reprenant sa vie de véhicule de transport et en remplaçant par la même occasion le vieux « honda » à bout de souffle de Mohamed.

Mais 2009 est aussi l’année des projets non réalisés pour l’artiste… Successivement, à Malines (Belgique) dans un premier temps, puis à Thessalonique (Grèce), le projet « Point zéro » ne pourra voir le jour au-delà des simulations proposées par Hassan Darsi, faute d’autorisations des municipalités concernées. Ces installations dans l’espace public utilisent un coffrage recouvert de dorure pour soustraire des monuments au regard ; sans doute l’intervention de l’artiste, signalant la présence par la disparition, aura réveillé un nouvel intérêt des autorités pour ces sculptures oubliées.

 

En octobre 2009, l’exposition personnelle d’Hassan Darsi dans la galerie Atelier 21, « Mutations ordinaires »[60], présente des séries de travaux inédits, en préparation pour l’occasion depuis plusieurs mois. La dorure est à l’ordre du jour, mais l’artiste expérimente cette fois la feuille d’or, tant pour épouser plus étroitement le volume torturé d’un « Tank explosé »[61] miniature, que pour esquisser les géographies des pays d’Afrique sur des « Dent de sagesse »[62], modèles géants d’une dent arrachée récemment à l’artiste. La série des « Vague dorée »[63], présentée en parallèle, explore un esthétisme non sans évocation picturale à partir des médiums de la photographie et de la sérigraphie. Les éclaboussures de dorure qui épousent le mouvement des vagues sont autant d’explosions en écho à la vidéo « Tank explosé » qui fait voler en éclat une miniature de char utilisé durant la guerre du golfe.

A la fin de l’année 2009, l’artiste produira « Le piège », une vidéo mettant en scène un tableau vivant sur fond de peinture orientaliste. Installé dans l’une des réserves de l’espace d’exposition de la SGMB pour l’exposition « Corps et figures du corps »[64], le moniteur rehaussé d’un cadre doré qui diffuse en boucle la courte scène, semble vouloir se perdre au milieu des toiles inertes qui y reposent en même temps qu’il en éclaire les contours.

Un peu comme si l’artiste revenait sans cesse sur des pratiques qu’il n’avait pas choisies, architecture et peinture imprègnent de plus en plus son travail, à la fois évocations, lieux d’expérimentation, territoires symboliques et miroirs symptomatiques. Autant de superpositions et de subterfuges qui s’emboitent et se mêlent pour mettre à jour, faire naître, souligner, signaler. Autant de processus de travail qui évoluent au fil des années dans une continuité de rapport à l’échelle, à l’objet, à la société et au monde, et que l’artiste continue d’explorer pour des projets en devenir.

En 2010, l’artiste initie un nouvel usage de la dorure avec la série des « Tondo » qui comme un prolongement à l’installation « Projet en dérive » propose de grandes plaques de verres circulaires recouvertes de peinture noire sur lesquelles la poussière d’or vient dessiner les motifs incertains de cartographies imaginées ou de peaux de serpents qui se glissent comme des mues dans la matière noire. 2010 verra naître également les premières recherches pour « Les chantiers en or », une série qui réexploite les dessins en creux résultant du recouvrement par l’adhésif doré de la maquette du « globe Zevaco »[65]. L’artiste en produira en 2011 une version en relief mural réalisée en aluminium, divisant les découpes entre le noir et la dorure, puis une version sur calque réalisée en sérigraphie et feuille d’or. Les formes évoquent, selon le regard qu’on leur porte, des plans d’architecture ou d’urbanisme, des engins de chantiers, des armes, des êtres hybrides… 

 

La fin de l’année 2010 voit aussi la naissance d’un nouveau projet pour l’artiste, celui d’un lieu de vie créé et pensé selon ses propres désirs. Un projet de maison en containers, véritable projet d’artiste qui s’inscrit à la fois dans une esthétique minimaliste, par son inscription dans le paysage et dans le souci d’une préoccupation de développement durable, par le recyclage de containers déclassés ne pouvant plus être utilisés pour le transport.

L’année 2011 est celle des allers-retours entre le chemin de l’atelier et celui de la campagne de Benslimane où il inscrit son projet de maison d’artiste. La série des « Tondos » se poursuit dans une recherche encore en cours aujourd’hui pour la concrétisation d’un ensemble particulier réunit sous le titre « Exuvie »[66]. Une proposition artistique qui s’inscrit dans le récent contexte politique marocain comme une interrogation sur ses possibles mutations. 

Des déplacements qui se nourrissent les uns des autres et inversement ; s’enrichissent, d’exploration en réexploitation, de recherches en détournement, pour un travail de création qui s’apparente à un grand « tout » qui vient chaque fois compléter une œuvre précédente et en anticiper une autre, comme autant de « pièces à conviction » qui viennent s’ajouter au fil des années pour faire œuvre. 

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© Florence Renault-Darsi,2011 (publié dans "Hassan Darsi l'action et l'oeuvre en projet", Ed. Le Fennec, 2011)

 

[1] - Initiée en 2010.

[2] - Inventaire des déchets, inventaire des arbres et des plantes, inventaire des types de sols et de tout ce qui composait le parc de l’Hermitage en 2002 pour la réalisation d’une maquette au 1/100ème.

[3] - « La collection du lion », un des volet du projet, réunit quelques 200 objets, figurations et évocation où l’on peut trouver le symbole du lion, du concentré de tomate aux armoiries en passant par la figurine, la serviette de plage ou une chanson célèbre.

[4] - Répertoire des différents « conseils » accompagnant le nuancier politique du projet « Off des élections ».

[5] - Année préparatoire effectuée au Complexe culturel Moulay Rachid.

[6] - Dernière année d’étude effectuée à l’Université.

[7] - Extrait du règlement du concours.

[8] - « Présentoir », présentoir de cartes postales et photographies, 1995.

[9] - « Du noir au blanc ou la commémoration du doute », Institut français de Casablanca, 1996.

[10] - 2009

[11] - 2010

[12] - « Valise », verre, photographies et techniques mixtes, 1997.

[13] - l’exposition est le pendant de l’exposition « Collection nomade » présentée l’année précédente par les instituts français de Fès, Casablanca et Rabat et proposant une sélection d’œuvres de la collection du FRAC.

[14] - « Quelques lieux », octobre 2009, adhésif doré et techniques mixtes.

[15] - Titre de l’installation présentée au FRAC Franche-Comté.

[16] - Elément du projet « Le lion se meurt » 2003-2008.

[17] - Exposition OPNI (Objets Publicitaires Non Identifiés), Villa des arts de Casablanca – commissariat Florence Renault.

[18] « Numéro, revue murale d’affiches d’artistes », 1994-1999, une intervention urbaine initiée par Martine Derain et Laure Maternati à Marseille.

[19] - Réunissant Hassan Darsi, Mohamed Fariji et Rachid L’Moudenne. Artothèque de Schiedam, novembre-décembre 2001 – commissariat Florence Renault.

[20] - Rencontré lors de l’exposition « Pont artistique : plus léger que l’art » à Bordeaux.

[21] - Association el Miter Bouchentouf pour le Développement Social, présidée par Abdallah Zâazâa.

[22] - Espace d’art de la Fondation ONA (Omnium Nord Afrique) – Casablanca.

[23] - Thupelo workshop

[24] - M’Hamed Dryef.

[25] - « Promenade dominicale ».

[26] - Mohamed Aït Bahiaya, Tarek Fayed et Hicham Ramch.

[27] - Le 6 avril 2005.

[28] - Le 20 avril 2005.

[29] - Du 25 avril au 5 mai 2005.

[30] - 2006.

[31] - 2006.

[32] - « Echo Larmitaj », réalisé par Martine Derain en collaboration avec la source du lion, éd. Le Fennec, 2006.

[33] - « Le savoir libre ».

[34] - « Art for social transformation ».

[35] - Réalisées dans le cadre d’une résidence d’artistes à Azemmour du 5 au 12 décembre 2005, à l’occasion des VIIe Rencontres photographiques d’El Jadida - commissariat Aziz Daki.

[36] - Présentée pour la première fois lors de l’exposition « Passerelle artistique VII : Lisière et débordements », Villa des arts de Casablanca, 29 mai – 15 juillet 2009 – commissariat Florence Renault.

[37] - « Faces», tirages numériques sur papier, 2006.

[38] - « Scènes fantômes de la globalisation ».

[39] - « Zonder Titel » Festival Moussem printemps 2007. Musée d’Art Contemporain de Anvers, Belgique – commissariat Bart De Baere et Charif Benhelima.

[40] - « Zonder Titel » Festival Moussem printemps 2007. Musée d’Art Contemporain de Anvers, Belgique – commissariat Bart De Baere et Charif Benhelima.

[41] - Présenté lors de l’exposition « Empathie des parties – Affinitas Electives » au Centre Régional d’Art Contemporain de Sète, juillet-août 2008 – Commissariat Miquel Mont, Gloria Picazo et Noëlle Tissier.

[42] - Présentée pour la première fois lors de l’exposition « Passerelle artistique VII : Lisière et débordements », Villa des arts de Casablanca, 29 mai – 15 juillet 2009 – commissariat Florence Renault.

[43] - Véhicule de transport de matériel utilisé dans les villes au Maroc.

[44] - « Passerelle artistique VI : 27 artistes pour 1 projet », Galerie de la fondation Actua, Casablanca, juin 2007 – commissariat Florence Renault.

[45] - « Le bassin », 2007.

[46] - « Art contemporain au Maroc », Faulconer Gallery, Grinnel Iowa, USA, automne 2007.

[47] - « Zonder Titel » Festival Moussem printemps 2007. Musée d’Art Contemporain de Anvers, Belgique – commissariat Bart De Baere et Charif Benhelima.

[48] - Exposition « Traversée », Galerie Bab El Rouah, mai 2009 – Commissariat Brahim Alaoui.

[49] - Hassan Darsi / Mohamed El Baz, Galerie Venise cadre, du 15 novembre au 4 décembre 2007.

[50] - « Façade dorée », 2007, intervention à l’adhésif doré sur la façade de la galerie Venise cadre à casablanca.

[51] - Série « Chute », novembre 2007, adhésif doré sur papier.

[52] - « Etats du monde », novembre 2007. Téléviseur, poupée, chaise en plastique, adhésif doré et socles en bois. Collection particulière.

[53] - « Le passage de la modernité », février 2008, inox, adhésif doré, verre, métal.

[54] - « Jetée dorée », projet en cours pour le site Al Maaden, Marrakech. 

Projet d’intervention à Marseille pour 2013.

[55] - « Le lion se meurt », Ed. de la source du lion, printemps 2008.

[56] - « Accrochage 1 : Hassan Darsi – Rétrospective Portraits de famille » 28 février-25 avril 2009, L’atelier de la source du lion, Casablanca.

[57] - La Compagnie Ex Nihilo / Marseille – France. Meryem Jazouli / Casablanca – Maroc. Malek Sebai / Tunis – Tunisie. Eva Vandest / Paris – France. Taoufik Idrissi Mdaghri / La Rochelle-France. Taoufik Izidiou / Marrakech-Maroc.

[58] - « Passerelle artistique VII : Lisières et débordement », Villa des arts de Casablanca du 29 mai au 15 juillet 2009 – commissariat Florence Renault.

[59] - « Projet en dérive », mai 2009, eau, poussière d’or, passerelle en métal, chambre à air et maquette en carton plume.

[60] - « Mutations ordinaires », Galerie d’art Atelier 21, du 6 octobre au 5 novembre 2009.

[61] - « Tank explosé -1- », 2009, installation : vidéo, tank (Challenger 2 UK Basora 2003 – Ech. 1/32) et dorure.

[62] - Série « Dent de sagesse », 2009, résine de polyester et feuille d’or.

[63] - Série « Vague dorée », 2009, photographie tirage numérique et sérigraphie sur dibon.

[64] - Exposition « Corps et figures du corps », espace d’art de la Société générale marocaine de banque, décembre 2009-mai 2010 – commissariat Maohamed Rachdi.

[65] - « Le passage de la modernité », février 2008, inox, adhésif doré, verre, métal.

[66] - Processus de la mue du serpent.

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